Quand on regarde les photos de notre Paul Cornu national, on peut croire qu’une astrophoto ça consiste juste à déclencher son appareil photo et PAF ! Une galaxie mieux que le James Webb, avec la magie du charabia technique en légende (15 darks, 20 flats, des offsets… mais keskidi ?). Je vais vous étonner, mais la réalité est plus sombre (parce qu’il fait nuit, on fait de l’astro, vous me suivez ?). L’idée de tout le blabla qui vient, c’est de vous raconter l’histoire pleine de rebondissements d’une photo nulle, pour vous montrer les coulisses de l’astronomie qu’on ne voit pas sur Instagram.

Mois d’août, sous la coupole. Qu’est-ce qu’on fait là ? C’est une longue histoire, essayez Paris-Saclay, French Tech, Start-up Nation, et si rien ne vous vient demandez à un.e ancien.ne magistérien.ne ce qu’iel faisait au mois d’août entre son M1 et son M2, et regardez le.a s’énerver. Après une petite observation privée, histoire de se remettre en jambes avant le rush de la rentrée (Jupiter, Saturne, la Lyre, Dumbbell, la classique quoi), quelques irréductibles décident de faire un peu d’astrophoto. “On commence à 10h demain, tranquille, et puis c’est l’histoire d’une heure ou deux” se disent-ils naïvement.

On sort l’appareil photo de l’association, ça va être super. Premier échec, impossible de trouver la subtile combinaison de bagues et d’adaptateurs permettant de viser l’appareil photo à la sortie du C14, on manque d’entraînement. C’est le moment de sortir l’artillerie lourde, on passe à l’ATIK, un capteur CCD pas piqué des hannetons, qui marche à coup sûr. Après vissage (réussi cette fois) et refroidissement (ça chauffe ces bêtes là), on est prêts à pointer. Pointer quoi d’ailleurs ? On cogite, on cogite et on se décide pour l’amas globulaire d’Hercule. C’est impressionnant à voir au C14, et plus simple à faire qu’une nébuleuse (dixit le spécialiste, moi je suis chargé de com’). En trois clics on commence à pointer, la monture fait son ASMR habituelle et dans sa course folle commence à tirer un peu trop sur le câble d’alimentation de la caméra. C’est mauvais pour la connectique, et l’ATIK a la fâcheuse tendance à se déconnecter facilement, ce qui nous oblige à la re-refroidir (et c’est long) et peut faire planter le logiciel (et c’est embêtant). Donc hop hop, en deux temps trois mouvements je stoppe le goto (j’arrête le mouvement du télescope, en des termes moins abscons). On donne du mou au câble et on peut se remettre sur l’amas.

Là commence la bataille de l’image. La caméra prend des photos et nous les montre sur le logiciel ArtemisCapture. Ni sous-exposer, ni sur-exposer, tel est le mot d’ordre. Encore faut-il avoir des étoiles sur l’image, il s’agirait de mettre au point (et de grandir aussi, si vous voulez Hubert). On tourne la molette de mise au point dans un sens, puis dans l’autre jusqu’à ce que des points blancs apparaissent, puis on ajuste par dichotomie. On ne fait pas ça à l’œil hein, pour voir le résultat d’un coup de molette il faut attendre le temps de pose de la caméra, puis le temps que l’image soit traitée par le logiciel, faut pas être pressé. Surtout quand, bras cassés que nous sommes, nous ne voyons absolument rien, quel que soit le sens dans lequel on tourne la molette, si ce n’est les poussières sur le capteur, et en concluons que ce doit être un problème d’exposition. On monte le temps de pose jusqu’à une minute, et une minute, quand il est déjà 2h30 du matin, c’est très long. Pour un amas globulaire, c’est même louche.

On décide de pointer Jupiter, très brillante, pour essayer de faire le point et de comprendre ce qu’il se passe. Coup d’œil à Stellarium : le télescope, qui pointe réellement du côté de Hercule, est affiché pointant… à côté de Jupiter ! Enfer et damnation, l’arrêt du pointage un peu plus tôt a dû désaligner le télescope, sa position réelle est complètement déconnectée de sa position virtuelle sur Stellarium ! On demande au télescope de pointer Jupiter quand même, histoire de voir, en désespoir de cause, le logiciel est nouveau, on ne maîtrise pas encore toutes ses arcanes. Apparaît alors sur le logiciel de capture, par l’intervention d’un quelconque esprit divin, ou d’une distorsion locale et soudaine de l’espace-temps, ou un simple gros coup de bol… l’amas globulaire d’Hercule ! Un peu flou, un peu décentré, mais globulaire quand même. Tu m’étonnes qu’on n’arrivait à mettre au point que sur des poussières, le télescope ne pointait sur rien. Quant à comment on a réussi à retrouver l’amas en voulant pointer Jupiter, j’émets l’hypothèse que nous avons bénéficié de la bienveillance des Grands Esprits de la coupole (qui nous avaient déjà assisté.e.s lors du dernier coup d’état de Schröd, référez vous à l’article de Médialcor sur le sujet).

On a trouvé l’amas (sans faire exprès) !

Bon, on l’a, on fait la photo, trois heures du matin ou pas, coup de bol ou pas. La mise au point est difficilement satisfaisante. C’est fichtrement frustrant. Le nez plongé dans nos ordis, on ne s’est pas rendus compte qu’un léger voile nuageux s’est levé et recouvre les étoiles. Forcément ça dégueulasse les images. Soupirs, larmes, désespoir… puis rage ! On y est, on y reste, raté pour raté ! L’image sera floue et en noir et blanc. Un capteur CCD ça capture en niveaux de gris, et si certes il y a des filtres verts, bleus et rouges sur l’ATIK qui permettent de reconstituer une image en couleur après post-processing, on ne sait pas -de un- quel filtre est lequel, et ça risque de nous faire une photo bizarre si on les teste au hasard et -de deux- ça triple le nombre de prises de vues -une bleue, une rouge, une verte- et c’est encore le milieu de la semaine, il va falloir se lever le matin. On prend le temps de faire une quinzaine de darks, des photos complètement noires avec le cache du télescope installé, pour récupérer des données sur les possibles bruits et biais liés au capteur, des courants d’obscurité (des pixels qui s’allument tout seuls, sans recevoir de lumière, à cause de la température par exemple) ou des pixels morts. On ne prend pas de flats, des images d’éclairement uniforme pour traiter des défauts du capteur ou du télescope, notamment les poussières susnommées. Faire un bon flat demande un peu de temps, tenir un écran bien blanc et peu réfléchissant devant le télescope, éclairé uniformément, sauf que le dodo appelle, alors on espère retrouver d’anciens flats en priant pour que les poussières n’aient pas trop bougé depuis (spoilers : elles ont bougé).

La suite se passe relativement bien, le télescope se parke correctement sur l’étoile polaire malgré l’étrange probable désalignement, on ne rencontre aucune harde de sangliers sur le chemin de notre lit et pas de panne de réveil le lendemain (enfin le jour-même, on se comprend). La journée était parfaite pour le traitement des données, plutôt que d’écouter un business angel nous dire qu’il y a des gens qui ont la lèpre en Afrique, donc franchement on devrait arrêter de se plaindre et fonder des start-ups, Maxime a mis sa magie en marche pour essayer de traiter nos données miraculeusement catastrophiques. Le résultat est… meh. Vous lui demanderez les détails techniques, moi c’est pas mon domaine d’expertise. Le fait est que malgré l’échec, l’expérience est formidablement pédagogique et tend à nous montrer que l’astro c’est avant tout la galère, et me ferait dire si je n’étais pas inspiré que derrière chaque belle image se cache une incroyable aventure humaine. Ça sonne terriblement cliché mais oui, passer plusieurs heures sous la coupole ça crée des liens. Une bouillie de pixels nous en apprend autant qu’une photo digne de Hubble. Réussir peut nous faire nous gonfler d’orgueil (je vous ai parlé de mon transit d’exoplanète ?), mais on se marre franchement plus en se plantant complètement. 

La photo un peu loupée, le manque de flats se fait ressentir (les tâches noires sont des poussières).

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